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Archive for the ‘Récits de voyage’ Category

Le Québec en politique et en humour. Par Emmanuel Bilodeau

juillet 23, 2011 4 commentaires

Toujours pensé que l’humour, quand il se pratique au 2e et 3e degrés., pouvait dire mieux que n’importe quel discours politique, sérieux et prétendument pédagogique. Merci à à M. Bilodeau. Voilà résumé l’ensemble des malaises du Québec actuel. Un Zapartiste !

Je n’ai pas du tout envie de quitter la Tunisie, mais cette vidéo me rend néanmoins heureuse du fait que lorsque je rentre chez moi, c’est au Québec que je reviens 🙂

Ni Allah, Ni Maître: le grand brouillard tunisien.

juin 29, 2011 3 commentaires

C’est tout à faire par hasard que j’ai assisté dimanche à ma première manifestation post révolutionnaire à Tunis. Une manifestation d’extrémistes religieux, dixit les médias locaux.

J’étais tranquillement installée chez des amies à écouter un film fleur bleu égyptien douteux et en arabe. Nous avons alors entendu des cris venant de la rue.

« Ce sont les islamistes », que m’ont dit mes hôtesses.Tant pis pour la fin du film, nous sommes tout de suite sorties.

Devant le cinéma Africart étaient rassemblés plus ou moins 30 jeunes, islamistes,reconnaissables à leur barbe et à leurs slogans qui disaient à peu près « Allah est le seul dieu et Mohamet est son prophète », « Le peuple est musulman et le restera ».

Ils s’étaient déplacés afin de tenter d’empêcher la projection d’un film prévu ce jour-là : « Ni Allah ni Maître », de la réalisatrice franco-tunisienne Nadia El Fani. J’avais déjà entendu parler de cette femme, qui a récemment provoqué un scandale à la télé tunisienne en affirmant haut et fort son athéisme.

Bref, avec les minutes qui passaient, l’attroupement grossissait et les slogans étaient toujours plus forts scandés. Les flics, qui étaient partout présents autour (ce cinéma est situé à côté d’un poste de police et à quelques mètres de l’avenue Habib Bourguiba, où sont postés en permanence des dizaines de policiers. Et le ministère de l’Intérieur est à peine à deux minutes de marche!) ne faisaient absolument rien. Je me suis alors déplacée vers l’avenue Habib Bourguiba, afin de voir si les flics s’apprêtaient à bouger. (Afin aussi de rester prudente, comme je vous l’ai promis).

Pendant une bonne demi-heure, les forces de l’ordre n’ont rien fait. Pourtant, ces gens n’avaient pas reçu l’autorisation de manifester. Bref, disons seulement que l’on a vu d’autres manifs et/ou sit-in à Tunis être plus rapidement cassés depuis janvier.

J’ai parlé à des gens sur l’avenue qui m’ont savamment expliqué que les policiers ne pouvaient rien faire : maintenant que la Tunisie a retrouvé sa liberté d’expression, on doit laisser ces manifs se dérouler.

Ensuite, alors que la foule, composée soit de curieux, soit de barbus, grossissait toujours, quelques individus, sortis de nulle part avec un drapeau noir sur lequel était imprimé en blanc des slogans islamistes, ont courus vers le cinéma, y ont fracassé la porte et les fenêtres vitrées. Certains sont entrés à l’intérieur. Et, selon les articles ici et sur Internet, ils ont agressé certaines personnes, dont le directeur du cinéma.

Seulement alors, les forces de l’ordre sont intervenues. À ce moment-là, ces « islamistes » ne devaient pas être plus que 50. J’ai vu au moins trois hommes amenés par un policier… cagoulé. J’ai demandé autour de moi : « Pourquoi le policier qui arrête les gens est cagoulé et pas les autres ? « Pour qu’il ne soit pas reconnu », que l’on m’a répondu. « Sinon, il pourrait avoir des problèmes, être agressé dans son quartier.»

Les choses se sont ensuite un peu calmées. Tant à qu’à être là, j’en ai donc profité pour aller le voir, ce film…

Je tiens à souligner que les gens présents pour la projection du film étaient au moins quatre fois plus nombreux que les gens dehors pour l’empêcher.

J’écris pour l’empêcher, et je pèse bien mes mots : le problème n’est pas tant que des gens aient manifesté contre le film. Manifester contre un film, ça peut très bien être un droit démocratique. Le problème est que les gens présents dehors cherchaient à annuler carrément la projection du film. Nuance. Nuance très importante que les forces de l’ordre n’ont pas su capter ce jour-là.

Les islamistes veulent manifester, très bien. Normalement, ils doivent demander l’autorisation. S’ils l’obtiennent, les forces de l’ordre les laisse manifester, mais s’assurent que les clients du cinéma peuvent accéder librement à la projection. Même si le sujet du film est provocateur et/ou tabou.

Car le problème avec ce film est bien là : il aborde deux sujets, liés et hautement tabous en Tunisie : la laïcité et l’athéisme. Des sujets qui soulèvent les passions et qui valent à celui qui les aborde de front d’être traité de mécréant, voire de traitre au pays.

Pour moi, ce film s’est avéré intéressant, très instructif, mais surtout, surtout, absolument inoffensif envers la religion. Ce film ne s’attaque pas de front aux religieux, dans mon esprit du moins. Tourné en partie avant et en partie après la révolution, le documentaire de El Fani est essentiellement un plaidoyer pour que les Tunisiens laïcs ou non pratiquant puissent vivre leur vie librement, sans se cacher, sans avoir par exemple à jouer le jeu hypocrite de faire semblant de jeûner pendant le Ramadan. Elle prône ainsi la laïcité afin que tous les Tunisiens – musulmans, juifs, chrétiens ET athés – soient intégrés et respectés dans le pays.

Bref, pour moi, ce film n’a rien de scandaleux. Mais je suis ici l’étrangère. La laïcité, même au Québec, où la religion ne joue plus qu’un rôle mineur, demeure un sujet sensible. Rappelez-vous la saga des cours d’éthique et de culture religieuse. Et la croix toujours accrochée à l’Assemblée nationale. Et les accommodements raisonnables. Alors, imaginez-vous dans un pays où la majorité est profondément croyante.

Le sujet est ici sensible, mais différemment. Pour une majorité de gens, le terme de laïcité est tout d’abord perçu comme un concept étranger, occidental. Pas que les Tunisiens soient opposés à l’étranger, mais ils tiennent à conserver une identité qui depuis une dizaine d’années, comme dans tout le monde arabe, est fragilisée. Rien de plus légitime.

Surtout, pour plusieurs, le terme de laïcité n’est pas perçu simplement comme la séparation de l’État et de la religion, mais il est plutôt confondu avec l’athéisme. Et l’athéisme est ensuite compris comme un rejet de la religion, de l’islam, de la culture musulmane dans son ensemble. Ainsi, si j’ai bien compris (c’est pas simple !), invoquer la laïcité, c’est brandir le spectre de la perte, ou de la fragilisation d’une culture, d’une identité, musulmane et arabe, commune à l’écrasante majorité de ce pays, majorité qui est fière de cette culture, et qui y tient, particulièrement en ces temps de transition plus que nébuleux où plus rien n’est sûr. Sans oublier que cette culture fait normalement consensus.

C’est ainsi que plusieurs personnes rencontrées à Tunis, des jeunes, des progressistes, des politiciens, souvent athés ou non pratiquants, désapprouvent non pas le sujet de Nadia El Fani, mais la manière dont elle s’y prend.

Parce que selon eux, cette manière, provocatrice, ne fait qu’attiser les tensions à un moment où le peuple a besoin de cohésion. Deuxièmement et surtout, parce que ces faux débats (ce sont leur terme) que sont la laïcité, le droit des femmes, la montée de l’islamisme, la normalisation des relations avec Israël, ne font que détourner l’attention du peuple des véritables problèmes que vit actuellement le pays dans sa transition démocratique : le réel démantèlement du régime de Ben Ali. Le grand ménage politique qui n’a pas été fait. Les points d’interrogation sur les crimes contre l’humanité commis avant et pendant la révolution.

Selon eux, le gouvernement de transition, tant dans ses hautes sphères que dans ses instances régionales, est toujours dirigé, sous influence, sous le pouvoir, de l’ancien parti de Ben Ali, le RCD, même si ce dernier a été dissous en mars.

Cette croyance n’est pas partagée par une minorité de personnes, mais par une majorité étonnante. Les phrases que j’entends le plus fréquemment, au sujet de l’État : « Rien n’a changé. » « Le ménage n’a pas été fait, les mêmes personnes tirent toujours les ficelles. » « Trop de grands criminels de la famille Ben-Ali-Trabelsi sont toujours en liberté » « Certains ont été volontairement épargné par le gouvernement de transition. »

Je ne cite ici aucun nom, non pas parce que ces personnes ne souhaitent être nommées, mais parce que tout le monde ici me dit à peu près la même chose, mas sans jamais me donner de preuves. Personne n’est en mesure de prouver leurs dires. Mais tout le monde sait que la contre révolution est à l’œuvre.

Un soir, j’ai rêvé que Radio-Canada me téléphonait pour me demander de résumer en onde et en une minute 20 secondes le progrès de la démocratie en Tunisie.

Par chance, ce n’était qu’un rêve. Qu’aurais-je pu leur répondre ? Pas un Tunisien ne sait comment se déroule exactement la transition démocratique de son pays. La Tunisie est aujourd’hui plongée dans un brouillard politique opaque.

Déjà en 2005, tout le monde se méfiait de tout le monde, parce que tout monde était en puissance un indicateur de la terrible police. Aujourd’hui, tout le monde est possiblement un ex rcdésite ou un agent de la contre révolution. Le Tunisien n’a aucunement confiance au gouvernement de transition, pas plus qu’il n’a confiance à la police, à l’armée ou à la justice. Pire, il commence à douter de la capacité de son peuple de mener à terme cette révolution.

Comme la communication entre le gouvernement de transition et le peuple tunisien est nulle, comme le gouvernement manque terriblement de transparence (personne ne sait trop ce qu’il fait exactement), la machine à rumeurs, à complots se met en branle. Difficile ensuite de dire qui dit vrai, si seulement quelqu’un dit vrai.

La manif de dimanche en est un autre bon exemple. Personne ne savait exactement qui étaient ces jeunes hommes (et ces deux ou trois femmes) venus manifester devant le cinéma Africart. Le principal parti islamiste, Ennadha, a dénoncé la manif. Aucune organisation n’en a réclamé l’organisation.

Alors, bien sûr, sur l’avenue Habib Bourguiba, les hypothèses abondaient : d’abord, on était sûr que ces gens étaient manipulés : par le pouvoir, par la police politique, par les ex rcédistes, par les Talibans, par Al-Qaida ! On m’a assuré que ces 50 jeunes n’étaient pas de vrais islamistes, mais des gens payés 10 ou 20 dinars par la police politique !

Tout le monde avait sa propre idée, mais aucune instance, en l’occurrence l’État (qui d’autre ?), n’est venue donner de réponse. Je vous laisser imaginer comment la machine à rumeurs s’est enflammée ensuite sur les réseaux sociaux…

L’importance d’être prudente, toujours.

juin 12, 2011 6 commentaires

Jamais je n’aurais cru que le deuxième billet sur mon second séjour tunisien porterait sur ce sujet. En vérité, c’est en plein le genre de sujet, privé, intimiste et émotif, qu’habituellement j’évite absolument sur ce blogue.

Mais je ferai ici exception. Pourquoi, je ne le sais pas exactement. Je pense qu’il faut chercher les raisons quelque part entre la catharsis et le souci d’être utile à d’autres femmes. Qu’elles soient dans le confort de leur propre ville, en voyage ou en séjour, étrangères, de passage ou perdues. Peu importe les circonstances. C’est le genre de chose qui peut arriver n’importe où.

Pour ma part, c’est à arrivé à Tunis il y a quelques jours. Normalement, je suis toujours d’une prudence exemplaire dans cette ville. En 2005, on m’a répété 10 millions de fois de faire attention. En mai dernier, quelques jours avant mon départ, on me l’a encore répété 10 000 fois au Québec. En revenant ici au début du mois, on me l’a encore rappelé : « sans être méfiante, sois prudente », m’a envoyé par texto un ami.

J’ai beaucoup voyagé depuis 10 ans, certains diraient même que j’ai poussé un peu loin, et il ne m’est jamais rien arrivé.

En Tunisie, avant et après la révolution, tout le monde se méfie de tout le monde; personne n’accorde sa confiance à personne. Si une telle personne ne figure pas dans le cercle de connaissance d’une telle autre, sûr que cette dernière me dira d’éviter de la fréquenter. Si je passais mon temps à écouter les gens, je ne pourrais pas faire mon travail. Je pourrais difficilement rencontrer de nouvelles personnes à interviewer. Alors, j’ai appris à en prendre et à en laisser.

C’est un peu pour ça que j’ai eu la peur de ma vie vendredi soir. Pour ça, et parce que j’ai baissé ma garde pour un instant.

J’étais dans un bar bien sympathique du centre-ville. Avec des amis. Je vois un grand et beau jeune homme débarquer. Il me remarque, vient me saluer. Comme il salue également un des hommes à ma table et des connaissances assises un peu plus loin. Je ne me méfie pas : il est dans le cercle.

Plus tard, on discute un peu. Il est gentil, il me drague un peu, mais bien naïvement. À ce moment-là, une journaliste que je viens de rencontrer m’avertit de faire gaffe à ce mec qui, selon elle, n’est pas très fiable. Je choisis de ne pas l’écouter. Comme je l’écrivais plus haut, si l’on veut rencontrer de nouvelles personnes, de nouvelles idées, pour écrire, il faut en prendre et en laisser.

Comment ne jamais se tromper ?

Toujours est-il que le mec m’offre de me raccompagner chez moi, pour ma sécurité. C’est là, sans le savoir, que je commets l’erreur de baisser ma garde. J’accepte et je me retrouve un peu plus tard dans un taxi avec lui, qui nous amène bel et bien dans mon quartier, mais pas dans la bonne rue. Après être sortis du taxi, je lui dit au revoir et je tente de partir vers chez moi. C’est là que je prends conscience de la merde dans laquelle je me suis mise : il refuse alors de me laisser passer, en me barrant le chemin du haut de ses six pieds. À ce moment, je refuse encore de me rendre à l’évidence et je lui fais des blagues : je vais appeler la police, si tu ne me laisses pas passer. C’est alors qu’il me saisit le bras et qu’il m’amène vers le hall d’un immeuble qui doit être le sien. J’essaie de la frapper, en vain, de la mordre, en vain. Dans le hall, nous croisons un voisin qui ne réagit aucunement, après que mon nouvel ennemi lui ait dit je ne sais pas quoi en arabe. C’est alors que je me mets à crier de tous mes poumons : à l’aide, aidez-moi !!!!!!!!

Heureusement pour moi, six ou sept hommes débarquent sur les lieux, dont un militaire. Le malade me lâche. J’agrippe le soldat (jamais été aussi heureuse de voir un militaire de toute ma vie). Celui-ci m’éloigne et m’embarque dans un taxi. Le taxi me ramène chez moi. En sortant de la voiture, je retrouve deux jeunes et leur scooter entraperçus plus tôt, qui m’expliquent qu’à la demande du militaire, ils ont suivi mon taxi pour être certains que je rentre bien chez moi. Ils m’escortent jusqu’à ma porte. Je rentre chez moi, saine et sauve, et je fonds en larme.

Voilà. C’est écrit.

Depuis, je suis ressortie dans mon quartier (l’incident a eu lieu pas très loin de chez moi). D’abord accompagné d’un ami, puis, aujourd’hui, toute seule. La peur s’estompe, mais je modifie volontairement mon itinéraire pour me rendre au centre-ville, afin d’éviter de passer près de chez lui ou de l’endroit où il a tenté de m’amener. Et en marchant, je retourne souvent la tête, juste pour être certaine que je ne suis pas suivie.

Comment je vais réagir si je le revois ?

J’ai été chanceuse, il y a eu dans cette bête histoire plus de peur que de mal. Mais cette peur, je ne la connaissais pas. C’est un sentiment nouveau qui s’est installé en moi, celui de la victime. Ce n’est pas du tout agréable. Et je comprends maintenant le sentiment de culpabilité, celui que tout le monde me dit que je ne devrais pas ressentir, mais qui n’en demeure pas moins là.

Je ne suis pas certaine que ce texte restera en ligne. Mais je sens le besoin qu’il soit ici pour le moment.

Pour me rappeler de toujours être prudente. Pour ne pas oublier la leçon. Dorénavant, je vais toujours prendre le taxi toute seule pour rentrer chez moi, ouallah !

P.S.: Je le répète: Cette histoire aurait pu arriver dans n’importe quelle ville. Comme Plume le chante si justement: Dans n’importe quelle ville, y’a toute sorte d’imbéciles.
Pour un imbécile ce soir-là, il y a six ou sept Tunsiens qui sont venus me sauver et tout autant qui m’ont épaulé le lendemain.

Démocratie saisonnière

Comme la nature passe de l’automne à l’hiver, puis du printemps à l’été, on a parfois l’impression que l’espèce humaine joue au même jeu, suit la même logique.

Alors que les peuples arabes vivent leur printemps, l’occident vit quant à lui son hiver démocratique : tout le monde crie à la mort de la démocratie, à sa carence d’efficacité, à son détournement au profit des oligarques, à sa corruption.

(Oligarchie : « Système politique dans lequel le pouvoir appartient à un petit nombre d'individus ou de familles, à une classe sociale restreinte et privilégiée ».)

Source


Les occidentaux – leurs gouvernements en première ligne – n’ont pas su voir venir le printemps « démocratique » ou « révolutionnaire » des pays du monde arabe. Non pas seulement à cause de leurs intérêts pétroliers et économiques dans ces régions, mais aussi parce que leurs systèmes politiques ne sont plus, depuis longtemps, que l’ombre de l’ombre du système démocratique auquel aspirent les hommes et femmes arabes qui manifestent actuellement au péril de leur vie.

Depuis le début de la révolution tunisienne, j’ai beaucoup discuté Révolution avec des gens de la Tunisie. La majorité – mais pas tous ! – d’entre eux ignorent le débat sur le prétendu déficit actuel de la démocratie occidentale, qu’il soit québécois, français, grec ou américain. J’ai beau leur dire que le gouvernement ici, ne nous torture pas, mais nous endort d’autant mieux, c’est comme parler à un homme atteint de la fièvre du printemps.

Lorsque je serai en Tunisie, en entrevue avec des gens qui y ont pratiquement laissé leur peau, comment pourrais-je leur expliquer qu’en moyenne moins de 60 % de gens votent depuis les 10 dernières années au Canada ? Et que ce sont surtout les jeunes qui font baisser la moyenne ?

Comment leur expliquer qu’au Québec, où les manifestations ne sont en aucun cas réprimées par des balles réelles et des bombardements, la dernière manifestation la plus nombreuse dénombrait environ 60 000 personnes sur une population de 7 millions et visait le retour d’une équipe de hockey ?

Il est peut-être un peu là le malaise de l’occident, non ?

Les Arabes sont dans la rue à exiger de leurs gouvernements ce que nous pourrions légalement, sans danger, légitimement, sans crainte, exiger de nos gouvernants, si nous n’étions pas si occupés à se regarder le nombril numérisé sur notre grand écran plasma.

J’espère que les Tunisiens ne me poseront pas trop de questons sur la démocratie à l’occidentale. Ou bien je leur mens, ou bien je les invite à ne pas trop nous imiter.

Qu’ils amènent leur printemps jusqu’à l’été, peut-être qu’un jour, ça nous fera sortir de notre hiver.

La révolution tunisienne est en marche…

janvier 19, 2011 1 commentaire

Ceux qui me connaissent savent certainement ce à quoi je passe une bonne partie de mon temps ces derniers jours : lire, lire, lire, sur ce qui se passe en Tunisie. Regarder des vidéos, consulter des pages FB, envoyer des messages à mes amies et amis là-bas, clavarder avec eux.

J’y ai vécu pendant huit mois en 2005 et une partie de mon cœur y est resté. Pour tout plein de raisons, dont cette révolution contre le régime de Ben Ali qui restait à faire.

Depuis vendredi, j’essaie de pondre un billet d’enfer sur les récents événements qui s’y produisent depuis le 17 décembre 2010. Mais ils déboulent tellement vites – et ils impliquent tant de données politico-économico-sociaux-militario-historico-religieuses, que je réécris mon texte à chaque jour, plutôt que de le mettre en ligne ici.


Photos Maurizio Giuliani

En voici donc une version, un peu toute croche, un peu nébuleuse, pas très claire, mais sentie, plus que sentie. Comme la révolution tunisienne, en quelque sorte.

Quand la rue fait tomber le dictateur.

Vendredi, Ben Ali est parti, en catastrophe, comme un voleur. Depuis, il s’est passé et se passe toujours bien des choses en Tunisie. J’y reviendrai plus loin. Mais avant, je veux insister sur ce vendredi 14 janvier 2011 qui fera date là-bas et, qui sait, ailleurs.

Je veux y revenir pour souligner, surligner, immortaliser, encore, le courage de ce peuple. Même le mot courage me paraît trop faible. Jamais la rue arabe n’avait encore fait tomber un dictateur arabe, à ce que l’on dit. Ben Ali n’était pas le moindre. Je salue donc les Tunisiens. Particulièrement la jeunesse, qui a mené, et mène toujours, la lutte dans la rue et via Internet. Voilà une raison pertinente à l’existence des réseaux sociaux.

Le régime de Ben Ali, que la plupart des médias hésitent encore à qualifier de dictatorial, l’était pourtant jusqu’au bout des ongles (surtout de ceux de Leila Trabelsi, sa femme).

Mais le monde occidental a toujours fermé les yeux pour une multitude de raisons, dont aucune ne justifiait le sort quotidien réservé aux Tunisiens : « paix social » ; rempart aux islamistes et aux immigrants de l’Afrique; relative égalité des sexes, éducation et santé gratuite; économie prospère; destination touristique bon marché.

En contrepartie, les chefs d’État de nos pays ont fermé les yeux sur ce qui devait leur sembler un détail : opposants politiques arrêtés, torturés, tués. Une presse non seulement muselée, mais manipulée. Une mafia, celle de la belle-famille présidentielle, qui profitait à elle seule de la fameuse prospérité économique du pays.

Et pendant ce temps, les adultes s’endettaient et les jeunes chômaient dans les cafés avec leurs diplômes universitaires gratuitement offert par l’État « démocratique ». Et tout le monde avait peur.

La Tunisie en 2005

Quand j’habitais à Tunis en 2005, le simple fait de prononcer le nom de Ben Ali dans un endroit public faisait trembler les gens qui m’accompagnaient. J’ai vu des cafés être fermés parce que l’on y avait parlé de politique. J’ai vu le propriétaire de mon appartement me demander de fermer mon téléphone portable avant de critiquer devant moi le moindre geste du parti au pouvoir. J’ai connu des gens qui avaient été torturés pendant la révolte du pain en 1984. Tous les gens rencontrés pendant mes huit mois là-bas avaient un ami, un frère, qui avait été menacé, harcelé, torturé par les policiers du dictateur. J’ai rencontré d’anciens intellectuels qui crevaient de faim, et leur famille avec, empêchés de travailler, empêchés de quitter le pays, parce qu’ils avaient osé à peine critiquer le régime policier de Ben Ali. J’ai vu mon rédacteur en chef publier en page 3, à chaque semaine et sans faute, un hommage à Ben Ali, sans quoi son hebdomadaire « indépendant » ne se retrouverait pas sur les rayons. J’ai entendu 3 000 histoires des sous-sols du Ministère de l’Intérieur.

Il y a presque six ans, personne n’osait défier le gouvernement. Pis, tout le monde, même les « artistes de gauche engagés » le craignaient, étaient terrorisés. Par une paisible soirée d’été à Tunis, les plus valeureux et plus téméraires me sommaient de ne pas marcher sur le trottoir du Ministère de l’Intérieur, où était posté en permanence et à tous les deux mètres, un policier armé d’une mitraillette. Ils avaient tous peur, Peur avec un immense et solide P.

Pire que la peur, les Tunisiens vivaient tout aussi intensément et quotidiennement la méfiance avec un immense et solide M. Tous se méfiaient des uns et des autres: dans ce pays surpeuplé de policiers (environ 160 000, soit un Tunisien sur 10), un système de mouchards s’était en plus installé : les policiers achetaient des citoyens à coups de nananes, de dinars, de montres et de privilèges, afin qu’ils dénoncent leurs compatriotes, s’ils osaient ne serait-ce que dire un méchant mot contre Ben Ali et son gouvernement.

Au départ, je les croyais tous paranoïaques, mais l’accumulation de témoignages et certains incidents qui me sont arrivés m’ont fait me rendre à l’évidence : une dictature policière pétrifiait ce peuple. Heureusement que l’on avait l’humour et l’intimité de nos chez-soi pour faire sortir un peu le méchant.

Dans l’intimité de nos appartements, mes amis et moi discutions souvent de la révolution. Nous nous amusions à former notre propre gouvernement. Un tel aurait le ministère de l’éducation, un autre celui de la justice. C’est toujours moi qui voulais jouer à ce petit jeu. Mes amis s’y prêtaient, mais sans vraiment y croire.

Quelques jours avant de partir, à tous les gens que j’avais connus là-bas, je souhaitais une bonne révolution… Il fallait voir les réactions. Tout le monde en rêvait, à voir leurs yeux briller à l’évocation du renversement de Ben Ali, mais personne n’y croyait.

On m’a dit que la seule manière d’y arriver serait de diriger un commando invisible qui pourrait enlever Ben Ali et toute sa belle-famille d’un seul coup….

Revirements majeurs

Puis, les choses ont changé. Il y a eu la crise économique et l’augmentation du prix des denrées de base, et le chômage qui a augmenté. Mais la révolution en Tunisie ne peut pas être réduit à cela : du chômage, de la pauvreté, de l’inflation, des crises économiques. Tout cela est souvent le quotidien des peuples du tiers-monde.

Quelque chose a éclaté en Tunisie, quelque chose que l’on pouvait sentir en 2005 et sûrement avant : un trop-plein, un nœud dans l’histoire, une page blanche face à l’avenir. Avec 70 % des Tunisiens âgés de moins de 35 ans, la « révolution du Jasmin » est arrivée.

La fin de semaine

Dans un premier temps (j’imagine qu’ils sévissent encore, mais cela semble s’être calmé), les anciens policiers restés fidèles au déchu dictateur ont foutu le bordel, pillé, brûlé, frappé et très probablement tué des leurs. L’armée les a ralenti et est venue en aide au peuple. Déjà, l’armée avait refusé de tirer sur les manifestants avant le départ de Ben Ali; des rumeurs courent aussi à l’effet qu’elle aurait eu un rôle à jouer dans le départ précipité du despote. Qu’importe. Elle n’éveille pas moins la méfiance de certains Tunisiens : on ne veut pas d’une armée qui prenne le pouvoir, d’autant plus que Ben Ali est un ancien militaire.
Voilà pour samedi et dimanche.

Lundi et mardi, les manifestations ont repris.

Après Ben Ali dégage, on entend maintenant dans les grandes villes de Tunis : RCD dégage.

Avant même l’annonce du nouveau gouvernement d’union nationale, on critiquait la présence de membres du Parti Rassemblement Constitutionnel Démocratique (RCD), le parti de Ben Ali, le parti unique qui n’osait se nommer depuis 23 ans, encore à la tête de l’État.

C’est qu’ils ne sont pas naïfs, les Tunisiens. Ils semblent avoir compris qu’il ne s’agit pas de chasser le chef pour vaincre le régime pourri.

Pour faire un parallèle local, chasser Charest et y substituer Normandeau ne changerait strict rien…

Bref, ces jours-ci, la rue tunisienne a peur qu’on lui vole sa révolution.

Aujourd’hui, en réaction au nouveau gouvernement d’unité nationale, où les postes et ministères clés ont été conservés par des membres du parti du RCD, les Tunisiens ont poursuivi par milliers, encore !, leurs manifestations. Encore des gaz lacrymogènes et des coups de matraque.

En fin de journée, certains membres de ce gouvernement ont démissionné (tous de l’opposition). Le président Mebazaa et le Permier Ministre Ghannouchi, tous deux intérim, ont quitté le RCD.

Qui sait ce que demain nous réservera ?

Une chose est certaine : Les Tunisiens ne semblent pas manipulés par des islamistes, ni par l’armée, ni par l’Occident, mais plutôt animés par une réelle soif de démocratie. Oui, la situation actuelle du pays, qui n’a jamais connu la démocratie, est plus que délicate et imprévisible.

Ils sont maintenant plus que jamais sous les feux de la rampe médiatique internationale. Et ils en sont parfaitement conscients.

Ils savent très bien que les citoyens des autres dictatures arabes les regardent. Si jamais la révolution du Jasmin devait vraiment aboutir à la démocratie, cela pourrait bien être la meilleure chose que le monde arabe ait connue depuis longtemps. Et pas juste le monde arabe, le monde tout court.

Bon, je rêve peut-être un peu, mais je le fais en mémoire des Tunisiens qui sont morts, soit par suicides, soit sous les balles, depuis un mois. Je crois qu’ils le méritent.

Démocratie helvétique

décembre 10, 2010 3 commentaires

Alors que mon ami québécois B. de Liverpool me demandait récemment comment se portait la vie politique au Québec, voilà de son côté mon ami J.-P., aspirant maîtrisard en Suisse, qui me donne des nouvelles de celle qu’il découvre depuis quelques mois en Suisse :

« Tu le sais peut-être, en Suisse, ils ont un système de démocratie participative, ce qui veut dire que les citoyens sont appelés très régulièrement (environ une dizaine de fois par année, ce qui fait en sorte que les Suisses sont beaucoup plus impliqués dans la vie politique que chez nous par exemple …) à se prononcer sur des projets de loi initiés soit par le parlement, par un parti, ou encore par un citoyen qui a recueilli assez de signatures. L’interdiction de construire des minarets a d’ailleurs été votée de cette manière.

Le principal parti en Suisse est l’UDC, une formation politique très conservatrice à la fois sur les plans économique et moral. Ils sont très forts en campagne et dans les régions alémaniques. C’est d’ailleurs eux qui avaient proposé l’interdiction de construire des minarets en 2009. Et là ils viennent de remporter une nouvelle votation populaire sur le renvoi systématique de tous les étrangers qui commettent certains crimes comme les crimes sexuels graves, mais également l’abus de prestation sociale ou encore le vol par effraction.

Ça fait pas mal de vagues en ce moment entre autres parce que l’UDC a utilisé des affiches publicitaires sur les murs des villes très « limite », pratiquement racistes, qui jouent toujours sur la peur et la menace. Mais ça marche à mort. Je te donne un aperçu des images utilisées selon les votations. Parallèlement à ce projet, les Suisse devaient également se prononcer sur une initiative du parti socialiste consistant à augmenter les impôts des plus grandes fortunes, chose qui a massivement été rejetée…




Je me disais que ça pourrait peut-être t’intéresser, parce que j’ai l’impression que la droite politique au Canada n’arrive même pas à la cheville de celle en Europe…

Je me demande bien s’ils me payent mon billet d’avion si je commets un petit crime à la toute fin de mon séjour d’études …:P

P.S. Si ça t’intéresse, les résultats de la votation du 28 novembre.

Ciao!

Le voile n’est PAS religieux

mars 22, 2010 18 commentaires

Comme je le racontais dans le billet précédent, mes premières semaines en Tunisie ont fortement ébranlé, questionné et nuancé la jeune nord-américaine que j’étais.

Dès les premiers jours de mon séjour là-bas, je voulais, puisque j’y étais à titre de journaliste stagiaire, écrire un beau, grand et long dossier sur les (jeunes) femmes voilées de ce pays.

L’explication toute faite des Tunisiens et des journaux, à savoir que les jeunes se remettaient au voile depuis le 11 septembre 2001 par souci d’affirmation de leur identité musulmane et arabe, par opposition au monde occidental en général et aux Etats-Unis en particulier, ne me satisfaisait pas vraiment. Du moins, je voulais l’entendre de la bouche de ces jeunes femmes voilées qui souvent étaient plus que « fashion ». Fashion en ce sens que leur joli voile rose allait à ravir avec leur sac à main, leur vernis à ongle et leurs petits souliers roses.

Source

Je ne suis pourtant jamais parvenue à écrire cet article. Je n’ai jamais été capable de réunir quelques jeunes Tunisiennes qui portaient le voile et accepteraient de m’en parler. J’aurais pu essayer davantage, mais ce n’était pas si facile.

D’abord, j’habitais à Tunis, où le voile est nettement plus rare qu’en région. Les femmes que je côtoyais au départ étaient journalistes, comédiennes, étudiantes et urbaines. Aucune ne portait le voile.

En tous cas, j’ai essuyé quelques refus de sœurs ou d’amis de quelqu’un qui m’avait dit qu’il connaissait quelqu’une qui parlait français et qui accepterait !

Car on me disait plus souvent qu’autrement que la jeune femme voilée ne parlait qu’arabe.

C’est en effet en région que le bilinguisme se perd de plus en plus. À Tunis, les jeunes femmes étudient (en français, bien souvent) dans une université… où le voile est interdit.

La première jeune femme voilée que j’ai vraiment côtoyée s’appelait Salima (prénom fictif). C’était en avril, trois mois après mon arrivée en Tunisie.

On m’avait alors demandé de jouer dans un court métrage réalisé par des étudiants. J’ai donc passé trois jours avec des étudiants de 20 ans pour leur projet de fin d’année. Parmi eux, la maquilleuse, Salima, portait un voile. J’ai un peu discuté avec elle du film, sans plus. Je n’ai pas osé lui poser des questions sur son voile. Par respect et parce que je me disais que j’avais tout mon temps.

Après ce tournage, je n’ai plus, ou si peu et si superficiellement, rencontré de femmes voilées.

Mais il n’empêche que les petits hasards de plusieurs petites situations d’amies non voilées ont fini par m’en révéler beaucoup.

Inès, Tunisienne « libérée »

Un jour, je fis ainsi la connaissance de Inès (prénom fictif). Sa rencontre m’avait dès le départ impressionnée : elle avait 24 ans, était graphiste, grande, belle et magnifique avec ces cheveux noirs portés très courts. Elle fumait, buvait, couchait avec son homme. Elle vivait en colocation avec deux gars ! Ce qui en théorie ne se faisait absolument pas en Tunisie.

Il y avait souvent chez elle des partys bien arrosés où l’on écoutait du Léo Ferré et du Faïrouz en alternance. Où l’on consommait joyeusement pétards et alcool. Où l’on refaisait le monde, où l’on chassait le dictateur du pays.

De soirées où l’on se serait cru en plein samedi soir sur le Plateau. Un Plateau bilingue arabe et français…

Au fil du temps, certaines situations ne purent néanmoins m’échapper. Rapidement, je découvris par exemple que Inès n’était pas libre de toute contrainte. Un jour, je la rencontrai par hasard au Café Univers. Maintes fois nous avions bu ensemble une bonne Celtia froide à cet endroit. C’était en quelque sorte le port d’ancrage de notre petit groupe. C’était toutefois la première fois que j’y rencontrais seule la jeune tunisienne.

– Une bière ma chère ?
– Non, je ne peux pas boire maintenant, car il n’y a pas d’hommes avec nous en ce moment.
– Pardon ?

À la façon dont Inès m’avait dit cela, tout vite et tout bas, je sus que je ne devais rien ajouter pour le moment.

Quelques temps plus tard, je la rencontrai à nouveau au même café.

Elle m’apparaissait nerveuse et ne cessait de regarder sa montre. Elle me demanda alors d’aller boire notre café dehors, à la terrasse. Comme il faisait environ 8 000 degrés Celsius, je lui avouai que je préférais rester à l’intérieur (air climatisé). Elle me dit alors que, pour sa part, elle se devait de sortir : son petit frère allait arriver sous peu de la maison familiale à Kairouan (ville au centre du pays). Le petit frère ne devait pas la voir à l’intérieur et ne devait pas la voir fumer. Car voilà des choses tout à fait inacceptables pour des femmes en Tunisie.

Inès me reparla de cette situation quelques jours plus tard : quand elle retournait à la maison pour l’été, elle cessait de fumer, de boire, de voir des garçons. Elle restait à la maison et aidait sa mère à la cuisine. Elle ne mettait pas un voile, mais c’était tout comme. Pour elle, cela allait de soi. Son mode de vie dans la Capitale aurait de toute manière beaucoup trop chagriné et ébranlé ses parents, m’expliquait-elle.

Quelques semaines avant de revenir au Québec, en août, je suis retombée tout à fait par hasard sur Salima, la jeune maquilleuse voilée du court métrage auquel j’avais participé des mois plus tôt. Nous étions alors au Festival international de cinéma amateur de Kélibia.

Je ne le reconnus pas toute suite : elle ne portait plus son voile.

On me dit alors qu’elle avait dû tout simplement changer son style, afin de tenter de trouver une nouvelle façon plaire aux garçons…

C’est tout ? un moyen de séduction ?

Si j’ai bien compris, la jeunesse de bien des Tunisiennes ressemble plus ou mois à ceci :

L’éducation étant gratuite, une fille décide de quitter la maison familiale pour aller étudier à Tunis. Pendant ses années d’études, elle a l’occasion de rencontrer des gars à l’université, dans les cafés et dans les bars de La Marsa. Elle peut boire quelques bières, se faire un petit copain. Elle peut même aller jusqu’à coucher avant le mariage ! Mais tout cela, c’est à Tunis. De retour dans la famille, elle suit les traditions et évite la foudre des « qu’en dira-t-on ? », Ceux de la famille, des voisins, du village.

Quand elle a terminé ses études, soit elle retourne vivre avec sa famille sur ordre du père, au risque de devenir chômeuse dans sa ville natale, soit elle tente, avec un taux de chômage incroyable, de se trouver un job à Tunis ou dans une autre ville du pays.

Puis, lui vient l’envie de vivre sous le même toit qu’un homme. Pour cela, elle doit se marier. Sans contrat de mariage, on ne peut même pas louer une chambre d’hôtel en couple !

Alors, pour signifier aux hommes de son entourage qu’elle est prête à la vie sérieuse du mariage, elle se met un voile sur la tête quand elle sort. Si jamais elle a eu l’audace de coucher avec un homme avant, elle peut toujours subir une chirurgie qui est paraît-il malheureusement très populaire en Tunisie : la reconstitution de l’hymen.

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Cette situation est notamment rendue possible parce que de nombreux jeunes Tunisiens jouent le jeu : pendant les folles années de leur vingtaine, ils étudient à l’université, ils sortent dans les boîtes de nuit, se cultivent, boivent un coup et fréquentent de jeunes étudiantes brillantes. Mais quand l’heure de la récréation a sonné, vers leurs 30 ans, ils décident de se ranger, de se marier. Ils délaissent donc leurs amantes de jeunesse, se mettent à la recherche de la jeune femme sérieuse et, avec bonus, vierge. Il ne suffit que de repérer les voiles.

Et les femmes qui dans leur vingtaine ont trop « profité » de la vie finissent souvent vieilles filles…

Bien entendu, ces complexes convenances ne sont pas suivies par tous les hommes et les femmes de ce pays. Certains Tunisiens s’en indignent, certaines Tunisiennes s’en affranchissent, mais tout un chacun en connaît néanmoins parfaitement les rouages.

Il n’empêche que plus on comprend les complexes rouages de ces codes culturels, moins on parvient à voir ce que la religion a à y voir, plus on y découvre les convenances sociales, les règles morales, que ce pays porte depuis des siècles.

Que la religion ait un jour récupéré ces normes sociales, il n’y a vraiment rien de nouveau sous le soleil de toutes les religions et cela depuis des siècles et des siècles.

En Tunisie, le voile a donc beaucoup plus à voir avec la place de la femme dans la société qu’avec la place du religieux.

D’autant plus que de nombreux Tunisiens sont religieux à peu près comme nous le sommes : croyants, mais non pratiquants.

Si les Tunisiennes portent donc le voile aujourd’hui, il semble bien que ce soit davantage pour des raisons de pression sociale que par conviction religieuse.

Alors, qu’on ne vienne pas me parler de la préséance des droits religieux sur ceux de l’égalité des hommes et femmes, Monsieur Chose de la Cour Suprême.

Les acquis de la révolution

Les pays arabes ont avant tout besoin d’une révolution sexuelle. Rien de plus, rien de moins. Une révolution sexuelle, féministe ou tranquille, appelez-la comme vous voulez. Mais ne me dites pas que vous renonceriez aux acquis que cette révolution vous a apportés chez vous.

C’est donc pour Inès et Salima que je refuse que le voile soit porté dans nos établissements civiques. Juste pour être sûre que mon pays leur envoie le message souhaité : Nous avons eu notre révolution tranquille et jamais il nous viendrait l’idée d’y renoncer. On vous souhaite donc la pareille, que vous viviez ici ou là-bas.

Fragile laïcité en Tunisie

mars 21, 2010 1 commentaire

Quand je vivais en Tunisie en 2005, j’avais l’habitude d’envoyer à mes amis de longs courriels relatant mes aventures et impressions sur ce pays. J’en ai publié certains ici et , mais je n’avais jamais encore mis en ligne celui qui abordait les femmes tunisiennes… Je l’avais rédigé alors que je vivais à Tunis depuis à peine un mois.

Cinq ans plus tard, alors que le niqab de la « Madame » du cours de francisation du Collège Saint-Laurent à Montréal fait renaître un débat qui n’en finit plus de finir au Québec et ailleurs, en voici quelques extraits.

Toujours plus. Extraits. 15 février 2005

« D’abord, il faut dire que la femme tunisienne est de loin la mieux lotie du monde arabe question libertés, officiellement en les tous cas.

Par exemple, ici, « les hommes et les femmes sont égaux » depuis 1956. Ils ne connaissent pas l’iniquité salariale, elles . Contrairement aux autres pays arabes, la polygamie y est interdite. La femme a le droit de choisir son mari, le droit de divorcer. Beaucoup d’entre elles travaillent, sont profs, juges ou policières. Officiellement, selon les lois, les femmes de ce pays ont pratiquement le même statut que les Occidentales, sinon mieux, dans certains cas. »


N.B. : Le port du voile en Tunisie est interdit dans les établissements civiques depuis le depuis des années 80.

« Rien à voir avec les Saoudiennes, qui n’ont même pas pu voter aux premières élections municipales de leur pays la semaine passée. D’ailleurs, cette situation choque les Tunisiens, hommes et femmes.


Imen Chérif, chanteuse tunisienne

En théorie, donc, la femme de Tunisie ne subit pas de discrimination fondée sur son sexe. Pourtant en un mois, j’ai déjà entendu maintes histoires de mariages arrangés par le père, de projets de mariages, entre une Tunisienne et un étranger, contrecarrés par la famille. Ceci est une chose. Une autre est de voir les journalistes femmes à Réalités, pourtant réputées « libérales », se dérober subtilement à la couverture d’un événement, parce qu’il se déroule le soir. Parce que, en pratique, une femme seule, le soir, ça ne sort pas de la maison… »

N.B. : Réalités : hebdomadaire indépendant de Tunisie.

« Un samedi soir quelconque, par exemple. Vers 20 h. : Cafés, terrasses et restos du centre-ville sont pleins; il y a plein de vie. Si on s’arrête toutefois à regarder les gens, on n’y voit pratiquement que des hommes. Quelques femmes les accompagnent, c’est tout. « Où sont les femmes ? » disait la chanson poche. Aucune femme seule. Aucun groupe composé de femmes uniquement.

Ce qui choque surtout : la différence entre l’officiel et l’officieux. D’un côté, les gens me disent que les femmes ici ont tous les droits, qu’elles sont libres. De l’autre, ces mêmes personnes me disent qu’une femme qui marche seule la nuit, c’est une fille de mauvaises mœurs !

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Boîte de nuit

Néanmoins, une soirée en boîte de nuit en banlieue huppée de la ville vient nuancer et même entrer en contradiction avec ce que je viens d’écrire. Ainsi, si on prend le train ou le taxi un vendredi ou un samedi pour se rendre à La Marsa, on arrive dans une banlieue huppée, avec ses belles plages méditerranéennes où les boîtes de nuit sont légions. On paye 10 dinars pour entrer dans l’une d’entre elles et nous voilà au cœur d’un party bien arrosé d’alcool, où les filles sont aussi nombreuses que les garçons. Tout le monde danse sur des chansons « remixées » en arabe, en anglais, en sénégalais, etc. Outre la musique, on se croirait au Charlotte ou au Dagobert. Les boîtes de nuits sont universelles : des gens venus pour danser, d’autres pour draguer, des filles sexys venues se montrer, deux bonnes amies qui ont traîné leurs petits copains, mais qui les laissent assis à une table pendant qu’elles se font leur soirée à elles sur la piste de danse. C’est peut-être l’endroit le plus « occidental » que j’ai vu jusqu’à maintenant.

Après cette soirée, on m’a expliqué que la plupart des filles qui dansaient là-bas habitaient certainement en foyer universitaire à Tunis. Ou encore qu’elles y vivaient pour y travailler, mais que leur famille vivait en région. Bref, qu’elles ne rentraient donc pas chez maman et papa en fin de soirée.

Traduction : les parents de la majorité ne se doutaient pas du tout des activités nocturnes de leur fille en ce samedi soir…

Bon, bon, bon. Maintenant, il convient de nuancer le tableau. Ce n’est pas l’enfer au quotidien que vivent les femmes tunisiennes. En fait, tout cela me fait un peu penser au mode de vie que la religion catholique imposait à nos grands-mères : la famille, la maison, les repas, la virginité jusqu’à la nuit de noce, etc.

C’est comme si les lois de ce pays avaient « évolué » plus vite que les mentalités.

Mon ami Habib (un Tunisien) me répète inlassablement qu’il ne peut pas supporter cette mentalité qu’il nomme « tunisienne ». Je lui réponds qu’au Québec, on a eu une révolution tranquille et que tout ça a foutu le camp en une génération…

Ce que je ne comprends pas, c’est pourquoi de nombreuses jeunes femmes de mon âge portent de plus en plus le voile. Plus que les femmes de 40-50 ou 60 ans. Habib m’a donné des explications, mais je n’en suis pas satisfaite. Il m’a dit qu’il me trouverait deux ou trois filles qui accepteraient de m’en parler pour que j’en fasse un article. J’espère vraiment que ça marchera. »

….

Pour plagier allègrement Jean Dion : La prochaine fois nous verrons comment le voile vient stigmatiser les efforts de la femme tunisienne pour trancher son dilemme entre officiel et officieux.

L'automne au Mont Orford

Le mois de septembre, mon mois préféré, je n’ai guère eu le temps de le voir passé cette année. C’est que ça bouge bien vite dans cette nouvelle vie montréalaise.

Heureusement, en octobre, je suis sortie de la ville pour aller voir ma saison préférée là où il faut la trouver : dans le bois. Encore mieux, il y avait là non seulement le bois, mais aussi la montagne et même le petit ruisseau, la source.

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Je ne rêvais alors que de sortir de Montréal et de son métro trop chaud et trop rempli sur l’heure de pointe matinale. Le Mont Orford, son lac, ses petits villages des Cantons-de-l’Est; j’y allais, pour la première vraie fois. Je crois avoir un léger souvenir d’être allée au Lac Memphrémagog quand j’étais gamine, mais je n’en suis pas absolument certaine.

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Bref et en tous les cas, difficile de comprendre comment quelqu’un, qui a déjà monté jusqu’au sommet du Mont Orford par les sentiers de l’Estrie, voudrait aller construire des condos là.

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Merci à Jade et Julie !

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Bahram Aloui: sur la route des étoiles

août 1, 2007 2 commentaires

Vous le savez ou vous l’apprenez à l’instant, j’ai séjourné en Tunisie à titre de journaliste stagiaire en 2005.

Aux cours de ces huit mois, j’y ai fait des rencontres hors du commun, précieuses, inégalables.

Et parmi celles-ci, il y eut celle qui surpassa toutes les autres. Un jeune homme mit sur ma route, un comédien : Bahram Aloui.

Être comédien, de théâtre de surcroît, dans une capitale du tiers-monde où la liberté de parole n’existe tout simplement pas, exige un courage de fer et un espoir quasi naïf.
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Enfin, je viens tout juste de trouver le premier article à son propos sur le Web.

Je me devais le publier ici.
www.tunisia-today.com

TUNISIA-TODAY
Il a eu jusque-là de petites apparitions dans des films tunisiens. Cela a été suffisant pour attirer l’attention de certains metteurs en scènes de théâtre et de cinéma qui commencent à le solliciter pour des rôles plus importants. Bahram Aloui est l’un des comédiens les plus prometteurs de sa génération. Il joue actuellement dans la pièce La Queue de Artis Production, aux côtés de Sabah Bouzouita, qui lui a appris l’abc du jeu théâtral dans son club à la Maison de culture Ibn Khaldoun, Sonia Zargâyouna, Jamel Madani, Noômen Hamda, sous la direction de Slim Sanhaji. Il y incarne le rôle de Abdeljabbar, un mari B.C.B.G. mais qui est dominé par sa femme. Né le 7 juin à Makthar, d’un père professeur d’arabe, Bahram a eu son bac au lycée de cette ville du Nord-Ouest. Au lycée, il fit partie de tous les clubs culturels : théâtre, musique, cinéma… Il débarque à Tunis en 1999 et poursuit des études au Conservatoire national de musique de Tunis tout en préparant un diplôme de russe à l’Institut supérieur de langues vivantes, Bourguiba School. A la faculté aussi, il fonde et anime des clubs de musique et de théâtre. Doté d’une belle voix, il excelle dans l’interprétation de chants populaires de sa région natale comme le «Aârdhaoui» (chant bédouin) avant de découvrir le répertoire de la chanson engagée arabe notamment celui de Cheikh Imam. C’est ainsi qu’il a intégré le groupe Ajrass de Adel Bouâllègue, spécialisé dans ce genre de chants. C’est au sein du club de théâtre de la Maison de culture Ibn Khaldoun qu’il se familiarise avec les techniques de l’interprétation théâtrale sous la direction de la comédienne Sabah Bouzouita, qui lui offre son premier vrai rôle dans la pièce déjà citée. Jeune comédien, il interprète quelques petits rôles, notamment dans le spectacle d’ouverture de la CAN 2004, en janvier dernier, avec ses aînés Hamadi Arafa, Raouf Ben Amor et Sonia Ben Ahmed, le film Jûnûn de Fadhel Jaïbi et dans le court-métrage de Elyès Zrelli, «Sésame, ouvre-toi». Bahram (qui désigne la planète Mars en perse) croit à sa bonne étoile. Son talent multiforme lui vaut aujourd’hui l’attention des metteurs en scène et des réalisateurs. Il est au seuil d’une carrière qui pourrait être riche de succès, mais il est convaincu que seul le travail paie. Aussi, tout en louant ses services à des groupes professionnels, il faut bien vivre, il continue de parfaire sa double formation de chanteur et comédien. Zohra ABID

Bahram, j’admire combien tu crois et tu fonces vers tes rêves.

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